La Guerre.
La terre tremblait sous les coups de canon. Le ciel était noir de fumée et de poussière. Les cris des blessés et des mourants résonnaient dans l’air.
C’était la guerre, la vraie, la sale, la putain de guerre. Pas celle des livres, des films, des discours. Non, celle qui vous crache à la gueule, qui vous arrache les tripes, qui vous fait crever comme un chien.
Moi, j’étais un soldat, un simple soldat. Un tas de viande. J’avais 20 ans. J’étais né dans un petit village de campagne, je n’avais jamais connu la violence avant. J’étais dans une tranchée, quelque part sur le front. Je n’avais pas de nom de code, pas de grade, pas de médaille. Je n’avais que ma peur, ma faim, ma soif. Je n’avais que ma haine, ma rage, ma colère.
En face de moi, il y avait l’ennemi. Je ne le connaissais pas, je ne savais pas son nom, ni son âge. Mais je savais qu’il était comme moi, un soldat, un simple soldat, un tas de viande qui n’avait que sa haine, sa rage, sa colère.
Un jour, on nous a dit qu’on allait attaquer. On nous a dit que c’était l’ordre, que c’était le devoir, que c’était l’honneur. On nous a dit que c’était la gloire, que c’était la patrie, et que c’était la liberté.
On nous a menti. Foutaises ! On nous a envoyés à la mort, à la boucherie, à l’enfer. On est sortis de la tranchée, on a couru vers l’ennemi. On a crié, on a tiré, on a tué… Je me souviens d’un soldat qui m’a regardé droit dans les yeux. Il avait les yeux bleus, pas comme les miens. Il était jeune, il avait l’air perdu. Je l’ai tué. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être par peur, peut-être par haine, peut-être par réflexe. Mais je l’ai tué. Et j’ai continué à tuer. J’ai tué des hommes, des femmes, des enfants. J’ai tué des amis, des ennemis, des inconnus. J’ai tué jusqu’à ce que je sois le seul survivant. J’ai rampé jusqu’à la tranchée, j’ai trouvé un abri, j’ai attendu la nuit. J’ai attendu la nuit, et j’ai réfléchi.
Sun Tzu et al.
J’ai réfléchi à ce que j’avais fait, à ce que j’avais vu, à ce que j’avais vécu. J’ai réfléchi à la guerre, à la folie, à la mort. J’ai réfléchi à l’ennemi, à son visage, à son nom que je ne connaissais pas. Et j’ai compris. J’ai enfin compris les trois grandes leçons de L’Art de la Guerre :
Un. La meilleure façon de gagner une guerre, c’est de ne pas la faire. C’est de convaincre l’ennemi de renoncer à la lutte, par la ruse, la diplomatie, la persuasion. C’est de lui faire croire qu’il n’a pas d’intérêt à se battre, qu’il n’a pas de chance de l’emporter, qu’il n’a pas de raison de mourir. C’est de lui faire comprendre qu’il vaut mieux vivre en paix, qu’en guerre. C’est de lui faire accepter qu’il n’est pas votre ennemi, mais votre semblable.
Deux. Si la guerre est inévitable, il faut la mener avec intelligence. Il faut connaître son ennemi, ses forces, ses faiblesses, ses intentions. Il faut connaître le terrain, ses avantages, ses inconvénients, ses pièges. Il faut connaître le moment, le bon, le mauvais, le décisif. Il faut adapter sa stratégie à la situation, à l’adversaire, aux circonstances. Il faut agir avec rapidité, avec surprise, avec audace. Il faut éviter le combat frontal, le gaspillage, l’usure. Il faut chercher la victoire à moindre coût, à moindre risque, à moindre souffrance.
Trois. Si la guerre est perdue, il faut la fuir avec dignité. Il faut savoir reconnaître sa défaite, ses erreurs, ses responsabilités. Il faut savoir abandonner ses illusions, ses ambitions, ses rêves. Il faut savoir accepter sa condition, sa destinée, sa mort. Il faut savoir se rendre, se soumettre, se repentir. Il faut savoir demander pardon, demander grâce, demander la paix.
J’ai vu que la guerre n’était pas la solution. Que la violence ne menait qu’à la violence. Que la haine ne menait qu’à la haine. J’ai alors compris que la seule façon de mettre fin à la guerre, c’était de passer par la paix.
J’ai décidé de changer de camp. J’ai décidé de passer à l’ennemi !
La nuit.
La nuit était noire comme de l’encre. Le vent soufflait fort, et les arbres se balançaient dans un bruit sinistre. J’attendis que le silence se fasse. Puis, je quittai la tranchée. Je couru vers l’ennemi, le cœur battant la chamade. Je criai la paix et même la capitulation, je jetai mon fusil, je levai les bras.
Mais l’ennemi ne m’attendait pas. Les balles fusèrent de partout. Je sentis une douleur vive à la cuisse, et je tombai à terre. Je fus alors saisi par des soldats ennemis. Ils me traînèrent dans leur camp, et me jetèrent dans une cellule sombre et humide.
Les jours qui suivirent furent un cauchemar. J’étais torturé sans relâche. On me brûlait les mains, on me tirait les ongles, on me frappait à coups de matraque. Je ne sais combien de temps j’ai duré. Je n’avais plus de forces, plus d’espoir. J’étais prêt à mourir !
Et enfin, on me conduisit devant un tribunal. Je fus accusé de trahison, de désertion, de lâcheté. Le procès fut expéditif. Je fus condamné à mort, sans appel.
Au petit matin, on m’emmena vers ce qui représentait pour eux l’ultime pénitence, pour moi le sein de Dieu. Je fus aligné devant un peloton d’exécution. Enfin. Soulagement ! Je fermai les yeux et attendis la mort… Mais la mort ne vint pas… J’ouvris les yeux et vis mon ancien chef, debout devant moi. Il souriait, un sourire cruel et triomphant. Il me parla de sa victoire, de sa gloire, et de sa liberté. Il me dit qu’il avait commencé à écrire un livre, un chef-d’œuvre, disait-il. Il me dit que ce livre racontait l’histoire de la guerre, de sa guerre, et de sa victoire. Il me dit que ce livre racontait l’histoire de son ennemi et de ses humains. De tas de viande et de gloire victorieuse. Il me dit que ce livre racontait l’Histoire, mais surtout celle de son triomphe. On n’écrit pas l’Histoire le cul à l’air, en effet. L’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs.
Et puis, il me dit, avant de me tuer, qu’il signera le livre, de son nom, de son grade, et de sa médaille. Qu’il l’empreindra du parfum de sa gloire, de la couleur de sa patrie, et de la violence de sa liberté…
Et puis moi,… j’ai juste été enterré, sans cercueil, sans fleurs, sans nom. J’ai été oublié, à jamais.