L’ultime crainte qui anime toute la pensée de Zemmour se résume dans ce qu’exprimait merveilleusement bien Edgar Quinet : “Le véritable exil n’est pas d’être arraché de son pays ; c’est d’y vivre et de n’y plus rien trouver de ce qui le faisait aimer“.
De cette crainte, il nourrit sa plume. De sa connaissance chirurgicale de l’Histoire de France, il argumente son idéologie —manipulation diront certains. Personne, je dis bien personne, à la droite dure de l’échiquier, et encore moins à l’extrême-droite, ne peut se targuer d’être aujourd’hui un “penseur de la droite” plus efficace que Zemmour. Il parvient, par un complexe exercice de style et de moult références historiques, à phagocyter et une partie de l’électorat traditionnel du FN, et une partie de l’électorat partisan de la droite républicaine.
Son livre pose évidemment les bases idéologiques de sa (presque) campagne présidentielle. Là aussi, il y a une ruse. Le bouquin retrace son propre parcours, précisément du 22 avril 2006 au 2 décembre 2020, en sélectionnant méticuleusement les dates à chaque fois. Il emmène le lecteur par la main d’un lieu à un autre, d’un événement à un autre, d’une rencontre à une autre, en mettant sur la table des détails littéraires souvent croustillants, des faits d’histoires glissés à bonne dose, et des références aguicheuses aux grandes figures passées de la France comme pour mieux courtiser sans relâche les adeptes du patriotisme-nationalistes dorénavant veuves ou orphelins.
La forme (bien trouvée) qu’il a donné au livre lui octroie une souplesse qui lui permet de passer sans vergogne de Napoléon à Macron, de Valeurs Actuelles à Balzac, de Victor Hugo à Twitter, en passant par Bayrou, Charb, Mélenchon, Ardisson, Sibeth Ndyaye, Pasqua, Valls, les LGBTQ+, les écolos (spoiler : il ne les aiment pas), et j’en passe. On est sur 318 pages de règlements de compte pour la plupart, de clarification souvent, de déclaration d’amour -à de Gaulle surtout, et parfois de discussions privées rendues public…
Au demeurant, qu’on l’aime ou pas, Zemmour a vraisemblablement préparé son point de chute depuis longtemps. Sa force réside dans sa capacité à mettre en perspective tout ce qu’il affirme. De plus, contrairement à ses adversaires —j’en exclus le seul Mélenchon, il a indéniablement pris le temps de faire le tour de ses idées. De boucler la boucle, comme il se dit. C’est à mon avis ce qui lui permet d’avancer ébaudi comme le moindre partisan de sa déferlante tournée nationale, rassemblé autour de ses 5i : identité, immigration, indépendance, instruction, industrie.
Moi, ce que j’en pense ? Je vais reprendre Zemmour lui-même lorsqu’il cite Bainville au début de son histoire de France : “Les Français ne sont ni une race ni un empire ; ils sont mieux, ils sont une nation.” (p.312)
Lisez et faites-vous votre propre avis. Si vous estimez que ses idées doivent être combattues : Lisez d’abord. Ou écoutez. Ne restez pas à la surface, mais plongez dans les méandres de la mécanique de son idéologie. Comprendre n’est pas accepter ! Autrement, vous risquez franchement de vous casser les dents face aux arguments bien agencés de ses partisans.